3 questions à Jean Krug, auteur de La couleur du froid (Critic)

Bonjour, et merci de prendre le temps de répondre à cette interview, qui prend la forme de trois questions autour de ton livre.

Dans La couleur du froid, tu nous emmènes jusqu’en Antarctique pour nous sensibiliser à l’importance de cette région du monde, dans un contexte écologique actuel assez compliqué. Pourrais-tu nous en dire plus sur ce qui t’a inspiré ce récit ?

Bonjour !
À l’origine, tout part d’une publication scientifique que j’ai trouvée un peu par hasard, dans le magazine Science. Elle racontait comment une équipe de recherche était parvenue à refroidir un gaz jusqu’à une température absolue négative. Or, on sait qu’au « zéro absolu » (qui correspond à environ -273,15°C), les atomes deviennent immobiles. Je ne comprenais pas comment on pouvait aller au-delà et par conséquent, cette étude m’a intrigué. En creusant le sujet, j’ai compris que les chercheurs avaient réussi ce tour de force en jouant sur les équations de la thermodynamique, qui est, pour le vulgariser, une « science de la chaleur ». Mais le plus passionnant, c’était les conclusions de l’étude, qui listaient les conséquences théoriques de ces découvertes : température absolue négative, pression négative, expansion de l’univers, énergie sombre. C’était vertigineux. Il y avait là matière à un récit de SF assez poussé. L’Antarctique est venu naturellement, car c’est l’endroit le plus froid sur Terre. Il n’y avait pas de meilleur contexte !

Sans trop en dévoiler sur l’histoire, le froid tient dans ton récit une place extrêmement importante. Il y est abordé sous un angle aussi scientifique que fantastique, un aspect que j’ai trouvé très intéressant. Cela raconte-t-il quelque chose de personnel sur ton rapport au froid ? As-tu toi-même vécu les conditions de froid extrême que tu décris dans le récit ?

Pour moi, comme pour tout le monde, le froid est d’abord une sensation. Un ressenti. C’est quelque chose qu’on perçoit, sans forcément chercher à l’expliquer. Un peu comme des manifestations fantastiques telles que celles présentées dans le récit. C’est seulement ensuite qu’on va chercher à l’étudier, le comprendre. En faisant, entre autres, appel à la science.

C’est un peu comme la découverte de la thermodynamique, d’ailleurs. Au début du XIXe siècle, on savait faire fonctionner une machine à vapeur, mais on ne savait pas encore expliquer la physique sous-jacente. L’expérience a précédé la théorie. La perception, le ressenti, a précédé la science. C’était ce que je voulais relever dans ce livre.

Autre raison : l’aspect fantastique devait, selon moi, être interprété. Ou, du moins, tenter de l’être. Ne pas rester flou ou dogmatique. C’est assez représentatif de ma façon de voir les choses. J’aime bien me laisser surprendre par quelque chose de nouveau, mais j’aime bien chercher à l’expliquer. C’est tout le dilemme de la foi et de la science qui vient également saupoudrer ce récit.

À titre personnel, il m’est arrivé d’avoir froid. Sacrément froid, même, en Antarctique. Mais jamais jusqu’au niveau de mes personnages. Cela dit, les récits des explorateurs foisonnent d’expériences extrêmes liées au froid, et il est assez stupéfiant de voir la résilience dont certains humains sont capables, dans ces situations.

Tous les romans que j’ai lus de toi présentent des personnages de prime abord antagonistes. Ici, on le ressent notamment avec la scientifique Valda et la cheffe d’entreprise Mila, dont les objectifs semblent radicalement opposés. Pour autant, aucun de ces personnages n’est jamais présenté comme « méchant.e » dans l’histoire. Pourquoi ce choix ?

C’est vrai. Je crois que je cherche à me positionner au-delà de la morale (pour paraphraser Nietzsche, dont la philosophie occupe d’ailleurs une place centrale dans le roman). Il y a dans mes textes une volonté de montrer des choses, de dire des réalités scientifiques sur notre monde (et sur le réchauffement climatique), mais je ne veux pas que mes textes imposent mes opinions. Chaque lecteurice doit pouvoir se positionner en toute connaissance de cause. Et même si mon avis est clairement tranché, je veux pouvoir laisser le lectorat libre d’interprétation. En cela, la confrontation d’opinions antagonistes me semble nécessaire. La question de l’interprétation est d’ailleurs soulignée par une citation de Nietzsche, directement placée dans le roman « Il n’y a pas de connaissance. Il n’y a que des interprétations. »

Quant au fait qu’aucun de mes personnages ne soit « méchant », cela me semblait normal. Nous vivons toustes dans des zones grisées. Les héros sont rares, les vilains aussi. Je vis moi-même avec d’énormes contradictions, comme beaucoup d’entre nous. C’est à elles que je m’adresse dans ce récit (et à moi, bien sûr !).

Question subsidiaire : À ton avis, que peut-on faire au quotidien pour limiter le réchauffement climatique ?

C’est une question subsidiaire, certes, mais qui nécessiterait des pages entières pour y répondre ! J Plus sérieusement, il y a plein de choses à faire à titre individuel. Internet regorge d’idées pour agir contre le réchauffement climatique. Cela n’aurait aucun sens de les lister toutes, car chaque individu doit agir à son niveau, en tirant ses propres leviers. Pour certains, cela passe par diminuer sa consommation de viande. Pour d’autres, placer son argent dans une banque responsable, ou privilégier le vélo ou les transports en commun. Un bon moyen pour identifier ces leviers est de faire une estimation de son empreinte carbone. Le site https://nosgestesclimat.fr/ , conçu en partenariat avec l’ADEME, constitue un très bon point de départ. Et cela ne prend que 10 minutes !

Pour autant, il me paraît important de préciser que la seule sobriété individuelle ne suffira pas. Le rôle des citoyens est vital, mais celui des acteurs économiques et des gouvernements l’est tout autant. Un levier pour cela : le vote. Souvenez-vous que nous aurons bientôt à nous rendre aux urnes. Or, la question climatique a complètement disparu des médias : le titre du dernier rapport du Haut Conseil pour le Climat, publié aujourd’hui (le 21 juin) est même : « Tenir le cap de la décarbonation ». Le message est clair. Voter pour des candidats qui prévoient des mesures concrètes pour lutter contre le réchauffement climatique est absolument essentiel. C’est un effort collectif que nous devons entreprendre. Le mouvement s’initie déjà, un peu partout. Il ne tient qu’à nous de l’amplifier !

Photo 1 : Auguste Deguillaume

Photo 2 : Jean Krug

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